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oeuvres de Lucas, l'ami écrivain de Lulu

3 participants

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Message  Solaire Mar 1 Fév 2022 - 12:00

Je rapatrie ici le texte de Lucas que notre ami Lulu a partagé avec nous

Haut dans les airs

Paris , janvier 1910
Maurice Farman commanda son dessert et déposa son verre sur la table.
« Et pourquoi tu n’essaierais pas l’aviation, Eugène ? C’est une activité toute nouvelle et pleine d’avenir, avec de beaux contrats en perspective. Toi et moi, on a fait des compétitions ensemble, tu as déjà été un pionnier et un champion de course en vélo, en motocyclette et en automobile, alors ça te permettrait de relever de nouveaux défis. À trente-deux ans, ne me dis pas que tu prends déjà ta retraite de sportif ! »

Maurice Farman, né à Paris de parents anglais, concevait, construisait et pilotait avec ses deux frères les premiers avions français. C’était un bon ami d’Eugène Renaux, ils avaient tous les deux le même âge et la même âme de pionniers, d’aventuriers de la mécanique. Et un brin de folie aussi. Et justement, en janvier 1910, Eugène venait de vendre le commerce automobile hérité de son père tandis qu’une incroyable nouvelle invention, le « plus lourd que l’air », ce vieux rêve de l’humanité, venait tout juste de faire son apparition...

« Mon cher Maurice, je ne sais pas pourquoi, mais je sens que tu essaies de me vendre un avion. Je n’ai jamais piloté et je n’ai aucune idée de ce à quoi pourrait me servir un tel engin. »


-  Ne t’en fais pas avec ça, Eugène. Si tu m’achètes un avion, je t’apprendrai à piloter. Et tu sais quoi ? Il y a deux ans , en 1908, les frères Michelin ont lancé un défi impossible à tous les aviateurs en offrant cent mille francs or au premier qui atterrira sur le sommet du Puy-de-Dôme en moins de 6 heures au départ de Paris, et sans escale. Tu es encore en pleine possession de tes moyens. Alors, qu’est-ce que t’en penses ?
-  J’en pense que personne n’a encore pu réaliser cet exploit et que je ne sais même pas piloter. Le risque est énorme. Tu te rends compte : atterrir sur un mouchoir de poche au sommet d’un ancien volcan, à 1500 mètres d’altitude, après six heures de vol ! Tu sais mieux que moi que personne n’a encore volé plus de 4h 17 minutes, parce que c’est ton frère Henri qui l’a fait. Et en plus, le Puy-de-Dôme est le département le plus orageux de France. Pas terrible pour un aviateur...
-  Ah oui, j’oubliais: pour le Grand prix Michelin, il te faudrait aussi un passager, c’est dans le règlement.
-  Malheureusement, mon cher Maurice, je ne connais pas de suicidaire. »

Aguiché par l’aventure, la perspective d’un nouvel exploit et sans doute l’appât d’un gain très incertain pour payer son avion, Eugène Renaux conclut le contrat d’achat en février 1910. Il reçut son avion en juin, un Farman avec moteur Renault de 50 chevaux et Maurice Farman, qui n’avait son brevet de pilote (Numéro 6 !) que depuis dix-huit mois, lui apprit à piloter en juillet. Après six vols de 15 minutes, il en conclut que c’était suffisant pour son apprenti.
C’est ainsi qu’Eugène Renaux devint le 139 ème Français à obtenir son brevet de pilote d’avion, puis s’engagea tout-de-suite dans diverses compétitions à travers la France où, finalement, tous les pilotes étaient des débutants dans cette discipline qui n’avait même pas dix ans d’existence.



Mais, fidèle à son parcours de champion en vélo, en moto et en auto, il lui en fallait plus. Dès les premiers jours de 1911, Eugène commença à préparer son prochain défi : tenter le Grand prix du Puy-de-Dôme... Mais il lui fallait un passager, et pas n’importe lequel...


« Allo, Albert ? C’est Eugène. Je te connais depuis assez longtemps pour savoir que tu aimes l’aventure. Il y a trois ans, t’es parti explorer l’Antarctique en voilier avec Charcot pendant deux ans, alors tu dois sûrement t’ennuyer dans ta nouvelle routine d’astronome à l’observatoire. Je suis sûr que tu vas aimer ma proposition : j’ai besoin d’un compagnon de voyage. Ça te tente ? »

Albert Senouque était un ingénieur, un astronome et le photographe officiel de l’expédition Charcot en Antarctique de 1908 à 1910. Mais une petite voix lui soufflait d’être méfiant.


-  Tu sais, Eugène, j’aurai du mal à trouver un voyage qui rivalise avec l’Antarctique. C’est difficile de trouver mieux, mais encore plus difficile de trouver pire. D’autres n’y ont pas survécu. Etre parmi les premiers sur un continent perdu et glacial, c’est quelque chose que je n’oublierai jamais. Mais tu vois, malgré cette expérience exceptionnelle, et bien que je sois astronome, cela ne m’empêche pas de m’intéresser à la vie de mon petit épicier du coin. Toutes les aventures se valent, les petites comme les grandes. Alors, c’est quoi ta proposition ?
-  Voilà. Pour changer de tes deux années en bateau à voile et à vapeur, je te propose plutôt six heures en avion : Paris-Puy-de-Dôme et peut-être le Grand-prix Michelin. En fait , je ne te sollicite pas pour me tenir la conversation pendant le vol, mais j’ai besoin de toi pour me guider avec la carte routière et la boussole. Et comme tu es astronome, si on est perdu, tu pourras toujours te repérer avec les étoiles ! »

Albert Senouque était un humaniste et un savant, et il avait conservé son coeur d’enfant. Il accepta l’offre d’Eugène par amitié, mais aussi par soif de découverte et de progrès pour l’humanité. Ce que ne lui avait pas dit Eugène, par contre, c’est que les frères Morane s’étaient blessés gravement en s’écrasant lors d’une tentative quelques mois plus tôt. Il est vrai qu’à l’époque, un tel exploit paraissait impossible.

Les choses se passèrent très vite. Eugène partit inspecter le site au sommet de la montagne: il ne disposait que de quelques mètres tant en longueur qu’en largeur, avec le risque d’un plafond nuageux et de forts vents d’ouest à cette altitude.


Pendant quelques semaines, il s’exerça à voler de plus en plus haut, jusqu’à 2000 m pour apprivoiser le froid et tester le moteur. Il pratiqua aussi le vol plané et l’atterrissage en espace restreint. Albert mit au point un tuyau reliant les deux casques des passagers pour servir de « téléphone acoustique ». Farman, Eugène Renaux et Albert Senouque se réunirent à plusieurs reprises et planifièrent soigneusement l’expédition: il fallait des conditions météo idéales, un mécanicien à Nevers, aux deux-tiers du chemin, pour faire le plein en route, et imaginer une technique d’atterrissage adaptée au site, à la fois restreint, montagneux et enneigé en mars.


Après quelques hésitations dues à une météo capricieuse, le 7 mars 1911, grâce aux informations de l’observatoire du Puy-de-Dôme, les conditions semblent favorables. : vent de 25 km/h à Paris et vent du sud-est faible au Puy-de-Dôme. Eugène s’enferme dans un bureau avec Farman, et le trac au ventre, ils hésitent puis finissent par décider de jouer le tout pour le tout.

Albert et Eugène, chaudement vêtus de fourrure et combinaison étanche et équipés de casques et lunettes pour affronter le vent et l’altitude, embarquent à l’aéroport de Buc, près de Paris, dans le petit monomoteur sans protection contre les intempéries. C’est un appareil spécialement conçu par Farman, équipé d’un moteur V8 Renault de 60 chevaux avec l’hélice à l’arrière. On y fait le plein de 120 litres d’essence et 20 litres d’huile. Après les photos et la prise de vue cinéma (à ses tout débuts lui aussi) des journalistes, l’avion se lance et prend de l’altitude pour aller passer au dessus du Parc de l’Aéro-club de France à Saint-Cloud, ou le chronométreur lance le compte à rebours: pas plus de six heures pour atterrir sur le Puy-de-Dôme, 400Km plus loin.

Quelques minutes plus tard, la brume vient brouiller les cartes: « Albert, d’après toi, on est où ? » Mais Eugène connait bien la région parisienne et se repère tant bien que mal au travers de quelques éclaircies, tandis que Senouque consulte la boussole. En 1910, on navigue exclusivement à vue...


Eugène commence à ressentir de terribles crampes d’estomac, sans doute liées au stress, et l’avion subit des remous. Passée la nappe de brouillard au sud de Paris, Albert et Eugène décident de suivre la route nationale, mais plein sud le soleil est éblouissant, et Albert doit se pencher à gauche ou à droite pour se repérer au sol en consultant la carte. Puis à une centaine de kilomètres, il s’écrie: « J’aperçois la Loire à droite ». Albert et Eugène doivent hurler car il y a le bruit du moteur, du vent et de l’hélice, juste en arrière du passager. La Loire vient tout droit du sud. Il suffit donc de suivre son cours qui les mènera directement à l’aéroport de Nevers.


Partis à 9h12, ils atterrissent à 11h 53 à Nevers, ou leur mécanicien Georges Brou (qui était aussi celui du pionnier Guynemer ) les attend pour vérifier le moteur et faire le plein avec de l’essence filtrée plusieurs fois. Ils redécollent quelques minutes plus tard, direction plein sud vers Clermont-Ferrand, où siègent les lanceurs du défi: la famille Michelin.


À 14h10, la population de Clermont-Ferrand, massée sur les toits et dans les rues, applaudit les deux hommes qui survolent la ville. Conformément au règlement, l’avion contourne la cathédrale toute noire de pierre volcanique, puis se dirige vers l’ouest où , l’ancien volcan se dresse à une dizaine de kilomètres comme une grosse masse verte au sommet pointu.
Leur coeur bat la chamade. Le plus difficile est à venir...

« Je n’arrive pas à prendre de l’altitude ! Il faut que je monte plus haut, » crie Eugène. « C’est une illusion d’optique, Eugène, tout le monde sait ça dans la région. Il a l’air de se soulever au fur et à mesure qu’on l’approche, mais ça va se dissiper à la fin ».


Eugène veut survoler le volcan avant d’atterrir. Il lui reste une heure. Il force sur le manche à balai puis monte 400m plus haut que le sommet de 1500m afin de se repérer. En mars, à 1900m, il fait très froid, surtout avec le souffle de l’hélice. Surplombant le sommet, il décide de tourner autour du Puy en spirale tout en descendant jusqu’à se retrouver juste en face du lieu d’atterrissage. Mais il faut bien viser et synchroniser. Il y a là Marcel Michelin et une petite foule avec des journalistes qui l’attendent avec anxiété.

Le Dôme est une butte: le risque est grand de se fracasser sur les rochers s’il descend trop bas, ou de dépasser la petite terrasse d’atterrissage s’il arrive trop haut, et de dévaler la pente abrupte au bout du terrain. Il perd de l’altitude en tournant autour du pot, va un peu plus bas que le site d’atterrissage, les rochers plein devant, il s’aligne, s’approche de la paroi, ralentit puis redresse au dernier moment pour remonter et, tel un oiseau qui arrive sur son nid, coupe les gaz pour se poser tout en douceur, en plein sur la cible rouge. Il est 14h23, donc 5 heures 10 minutes après le départ, 50 minutes de moins que la limite permise.


Les deux équipiers débarquent de la carlingue, meurtris par le froid, la fatigue, le stress, mais fous de joie. On les porte en triomphe.
Mais Eugène n’oublie pas que sa performance est un travail d’équipe, une équipe du tonnerre à qui il rendra hommage : Michelin le visionnaire et le mécène, Maurice Farman l’innovateur et le pionnier, Louis Renault le concepteur du moteur, Albert Senouque le savant et l’aventurier, Georges Brou le mécanicien perfectionniste, les observatoire de Paris et Puy-de-Dôme pour la météo.
Eugène Renaux devient un héros de l’aviation, il aura sa statue et une stèle à cet endroit.


Eugène Renaux, mon grand-père, mon héros, notre héros.


Jean-Marie Lucas-Girardville Québec 24 janvier 2022
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Message  Solaire Mar 1 Fév 2022 - 12:01

voilà aussi le lien pour le suivre sur short edition 

https://short-edition.com/fr/prix/portez-haut-les-couleurs-2022/oeuvres
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Message  Z06 Mar 1 Fév 2022 - 14:58

Bravo Solaire

bien vue et merci.

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Merci à Lulu
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Message  Solaire Mar 1 Fév 2022 - 15:12

Je viens de lire ce récit .. c’est haletant jusqu’à la fin !! 

Quels héros ces pionniers de l’aviation .. on ne peut plus vivre de telles aventures aujourd’hui 

Bien dommage 

Bravo à Lucas d’avoir honoré son grand père
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Message  Lulu Mar 1 Fév 2022 - 15:19

:bisou joue:  merci Solaire d'avoir rapatrié ce texte au bon endroit.   

Oui Lucas est très fier de ses origines et avec raison...  
J'imagine la trouille qu'on doit avoir en tentant de se déposer sur une si petite piste d'atterrissage avec un avion pas encore très performant...
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